samedi 3 décembre 2011

Une semaine de randonnée aux lacs Shavlin

Fatigué par la vie dans la communauté russophone, j’ai décidé de m’exiler quelques jours dans la montagne pour me ressourcer, retrouver des forces, penser dans ma langue natale.
L’envie de faire un peu de randonnée, de me retrouver seul et de m’approcher des hauts sommets m’a orientée vers ces lacs que l’on disait majestueux, présentés comme les perles de l’Altaï.
Quelques rencontres avec des accompagnateurs de moyenne montagne m’ont rassuré sur la difficulté de l’entreprise, et c’est confiant, le cœur léger, le sac à dos pesant et les pieds bien dans mes bottes que je me suis lancé dans l’aventure.
3 jours de marche sur un sentier soi-disant fréquenté, un jour de repos, deux jours pour effectuer le retour, voila le plan que je m’étais fixé. Bien entendu, c’est sans compter sur les aléas qui ne manquent pas de survenir dans un pays tel que la Russie !
Premier jour : je quitte Oulagan en taxi à 5h30 du matin. 50km plus loin, j’attends sous la pluie l’ouverture des magasins pour acheter le plus indispensable des ustensiles : une casserole. Une fois mon assurance-repas dans le sac, c’est parti ! Le ciel est gris, bas, il pleuvine, mais qu’à cela ne tienne, je suis motivé !
Je manque de me perdre après les trois premiers kilomètres. La carte au 1/250 000 n’est pas le meilleur des guides !
Je m’engage donc sur un chemin aléatoire, qui me semble pourtant le meilleur, sans savoir où cela va me mener. Après quelques heures, seul dans la forêt, je commence à me demander si c’était une bonne idée que ça que de partir ainsi…
La forêt est sombre, le temps ne s’améliore guère, je commence à fatiguer, c’est silencieux et après tout, il y a des ours et des loups dans le coin !
L’heure du dépérissement fatal approche, et soudain, un groupe de touristes ! Je suis donc sur la bonne piste ! Quelle revigorante rencontre ! Je profite de l’arrêt pour me sustenter en leur compagnie.
Quelque temps plus tard, je rencontre un jeune homme, seul lui aussi, qui vient régulièrement de Novossibirsk faire cette randonnée, et passer quelques jours au bord du lac. Comme la fin du jour pointe son nez, je décide de m’arrêter pour la nuit avant de franchir les six kilomètres d’un plateau d’altitude. Je suis également éreinté par la montée avec mon gros sac, je me demande si après tout je n’ai pas prévu trop de nourriture...
Le lendemain matin, réveillé tôt après une nuit glaciale (je me demande encore si j’ai dormi tant il faisait froid et humide…), mais rempli d’optimisme, je pense atteindre les lacs en fin de journée. Hélas, le mal de dos, le mal de tête, la fatigue de la veille et de la nuit trop courte et surtout un début de suppuration de ma jambe freinent mes ambitions. Je fais des pauses et m’endors deux fois sur le trajet. Qui plus est, aujourd’hui, pas âme qui vive à l’horizon. Heureusement, pas d’ours non plus. Mais l’angoisse se fait à nouveau sentir. Suis-je sur le bon chemin ?
En fin d’après-midi, la solitude me gagne, je n’ai pas réussi à manger, je suis faible et mes douleurs me poussent à renoncer. Je m’appuie contre un mélèze, désespéré. C’est la fin. Je suis exténué et je commence à avoir peur de cette jambe qui enfle et jaunit, sans savoir quelle peut être l’origine de cette gangrène bizarre, ni quoi faire. Par une curiosité inexpliquée, je me retourne et vois un vieux monsieur qui me fait signe. Après tous ces efforts, c’est à peine croyable et inattendu ! Je m’approche, nous faisons connaissance, il est moscovite et seul lui aussi, sur le chemin du retour. Il m’invite à m’installer pour la nuit dans son camp, à me reposer, à dormir tard et à ne repartir que le lendemain matin, frais et dispo. Il me prépare une kacha, une bouillie, mais je n’arrive toujours pas à manger, je suis trop fatigué.
Troisième jour : nous nous faisons nos adieux mutuels. Je suis reposé, d’humeur joviale et motivée, cela contraste avec la veille. Si je ne parviens pas aux lacs dans cet état, c’est que décidément ce lieu est hors d’atteinte au commun des mortels. En outre, je croise tellement de personnes sur ma route qu’il est à peine croyable que j’aie pu être seul toute la journée de la veille. Il y a des groupes de touristes partout ! Le paysage continue à être époustouflant, je longe une rivière couleur d’émeraude, le temps est au beau fixe, aucun rapport avec les deux jours précédents.
J’avance doucement à cause de ma jambe, n’hésite pas à faire des pauses et à boire, et c’est ainsi qu’après un doux cheminement j’arrive enfin aux lacs tant recommandés.
Là-bas, je m’installe à côté d’un groupe de touristes dans une clairière appelée « la clairière des idoles », en référence aux sculptures qui la cernent.
Les touristes sont moscovites et se promènent à cheval avec leur guide altaïen. Coup de chance, ils ont une pharmacie du tonnerre et me prodiguent quelques soins et conseils pour soigner ma jambe. C’est notre premier soir à tous, et au coucher de soleil, nous tombons tous dans une espèce de béatitude face à ces lacs. Devant tant de beauté, après les événements des jours précédents, c’est comme si j’étais empreint d’un calme reposant, je sens que je me ressource face aux sommets, aux falaises, aux séracs qui nous dominent de plusieurs centaines de mètres, enneigés depuis l’éternité, leurs faces rocheuses invitant à l’escalade me font tourner la tête, mais de plaisir cette fois (poésie, quand tu nous tiens !).
Quatrième jour : une bonne nuit de sommeil et un bon repas russe consistant, il n’y a pas photo, ça recharge les batteries. J’hésite toutefois à poursuivre le chemin jusqu’aux lacs supérieurs. Mais après le départ de mes voisins, je me lance dans l’aventure, tranquillement. J’arrive rapidement au pied des glaciers et passe la journée au soleil, c’est reposant.
Cinquième jour : départ à cheval. Malheureusement, la chevauchée est de courte durée et se termine de manière peu agréable. C’est le risque, lorsque l’on est seul et dans un pays « inconnu ». Prenons-cette expérience comme une initiation en quelque sorte…
Je me greffe ensuite à un groupe de touristes venus de Novossibirsk. Nous ferons route ensemble pendant les deux jours que durera notre retour. Le soir, nous préparons au choix du sarrasin, une soupe de pâtes, du riz…et nous nous racontons nos aventures au coin du feu en sirotant quelques gorgées de cognac, le remède miracle à tous les maux.
Sixième jour : au matin je retrouve mes voisins de clairière qui arrivent à cheval. Je croyais pourtant qu’ils nous avaient devancés depuis longtemps, mais il n’en est rien ! Ils me cherchaient. Leur guide, auquel j’avais offert ma lampe frontale, me cherchait ! Il tient à m’offrir quelque chose. J’accepte donc avec un mélange de joie et de modestie face à ce fabuleux présent, une dent de ce tout petit renne que l’on nomme « kabarga ». Celui qui ressemble plus à un dahut qu’a un renne doté de puissants bois se rattrape en possédant une paire de canines acérées qui le rendent aussi féroce qu’un tigre. En apparence seulement, car notre animal est herbivore. Je ne parvenais pas à me souvenir où j’aurais bien avoir pu croiser cet étrange bête. Après plusieurs heures de tergiversation, je me rendais à l’évidence : notre kabarga était la réplique exacte et vivante du petit rongeur du film « L’âge de glace » !
Nous sommes dit adieu une seconde fois et avons repris notre route, chacun de notre côté. Aujourd’hui, le plateau nous attend. Quelques petites averses n’entravent en rien notre progression, le soleil est toujours au rendez-vous. Nous décidons de faire halte une dernière fois, afin que le lendemain nous puissions tous partir de bonne heure, qui en bus, qui en stop. Nous prenons ensemble notre dernier repas, passons notre dernière veillée au coin du feu.
Cette dernière matinée de séparation, le ciel semble avoir compris que nous avions passé ensemble de bons moments et se met à pleurer pour nous.
Ainsi prennent fin les belles escapades, et aux yeux et au cœur de l’observateur attentif, de celui qui a su prendre sans profiter, l’Altaï semble s’ouvrir, vibrer sur le même ton que lui, présenter son climat, sa nature, ses couleurs en adéquation avec les humeurs de l’homme de passage. Aux personnes qui souhaiteraient en savoir plus sur les randonnées à faire dans l’Altaï, écrivez-moi, je peux vous indiquer quelques lieux intéressants.